2022-2023, regard sur les ateliers de culture générale en hypokhâgne : « force et usages des images »

Force et usages des images : « Il ne tient qu’à nous de ne pas avoir peur de regarder. » Georges Didi-Huberman, Eparses (Editions de Minuit, 2020).

 

Après le billet d’Estelle Meurice, voici un texte rédigé par Camille Vachée (étudiante en Hypokhâgne) dans le cadre des ateliers de Culture Générale menés sur le thème « Force et usages des images ». La photographie choisie a suscité une grande émotion lors de sa diffusion dans le New York Times en 1993, ainsi qu’un vif débat sur la responsabilité morale du photographe. Camille nous explique les raisons de son choix, qui ne sont pas sans écho d’ailleurs avec le programme de géographie.

Juin 1983 : la guerre civile éclate une nouvelle fois au Soudan. Depuis son indépendance en 1956, le pays a connu de nombreux conflits armés entre rebelles séparatistes d’un côté et Gouvernement central de l’autre. Celui qui démarre en 1983 est l’une des guerres les plus longues et les plus meurtrières du XXème siècle. Selon l’ONU, 2 millions de civils sont touchés par la famine, la sécheresse et les nombreuses violations des droits humains opérées dans le pays comme l’esclavage ou les massacres. Le nombre de victimes civiles est l’un des plus élevés de toutes les guerres depuis la Seconde Guerre mondiale. De ce fait, les Soudanais font face pendant des années à des déplacements intempestifs rythmés par une montée des tensions ethniques et de l’insécurité. Ils se retrouvent également dans une situation sanitaire extrêmement précaire avec de nombreuses maladies se développant telles que le paludisme, la rougeole ou le choléra mais aussi de graves problèmes de malnutrition et de sous-alimentation. Cette crise soudaine limite l’accès à la nourriture avec des effets néfastes sur une longue période.

Kevin Carter, reporter photo sud-africain, photographie en mars 1993 l’insoutenable, l’horreur et l’agonie lors d’un voyage dans le Sud soudanais.

Au premier plan de sa photographie L’enfant et le vautour, on peut voir un enfant squelettique, émacié. Il se traîne au sol avec difficulté. C’est l’agonie extrême qui s’échappe de cette photographie. Elle nous prend, tout entier, devant cette scène infernale. Cette agonie est la preuve de l’extrême pauvreté et de la sous-alimentation effroyable dont souffre l’enfant. Ce dernier se traîne au sol, ne pouvant se tenir sur ses jambes trop faibles pour soutenir le poids de son petit corps. Au moment où Kevin Carter appuie sur le déclencheur, l’enfant se dirigeait vers le centre d’approvisionnement alimentaire.
Au second plan, un charognard à l’affût de tous les faibles mouvements de l’enfant affamé. Il attend calmement que l’enfant puise dans ses dernières forces pour l’attaquer, le dévorer. La scène générale se déroule en plein milieu de la nature soudanaise, comme à l’abri des regards indiscrets qui empêcheraient le vautour de se délecter de son festin servi sur un plateau d’argent.
Carter compose sa photographie avec l’enfant au premier plan sur la droite, presque à hauteur des yeux. Il attire pour la première fois votre attention. Puis au second plan, le vautour. Vous cherchez à aider l’enfant, à le sauver de son issue fatale. Pourtant, le plan général est vide, une plaine soudanaise ravagée par la sécheresse, comme si l’avenir de l’enfant était inéluctable.

Cette photographie est impactante à mon sens de par sa puissance métaphorique ; elle incarne l’iconographie par excellence de la famine et de l’extrême dénuement, qui se sont généralisés sur le continent africain durant les années 1990. L’enfant et le vautour alerte sur la situation actuelle au Soudan et permet de mettre une image sur la famine dans le monde.

Image à couper le souffle de par la tension et la souffrance effroyable ressentie, Carter dénonce l’abomination de la pauvreté, qui nous paraît difficilement transposable en Europe et pourtant tout ceci se passe au plus proche de nous.
Au-delà des chiffres fournis par les médias, c’est toute la souffrance se trouvant devant nous qui nous étreint et nous saisit.

Camille VACHEE, étudiante en hypokhâgne