Une « Leçon » pour les classes préparatoires littéraires au théâtre Alexandre Dumas, le 24 janvier 2023

Le mardi 24 janvier 2023, les classes préparatoires littéraires au théâtre Alexandre Dumas de Saint-Germain-en-Laye pour une « Leçon » insolite

 

Selon Ionesco, « pour s’arracher au quotidien, à l’habitude, à la paresse mentale qui nous cache l’étrangeté du monde, il faut recevoir un véritable coup de matraque » et nous, élèves de khâgne, d’hypokhâgne et de PCSI, pour nous arracher à la prépa, aux colles, à nos pensées en ébullition, qui nous dévoilent « l’étrangeté du monde », nous avons assisté à une représentation de la troupe Le Théâtre Du Corps Pietragalla Derouault.

Ce mardi 24 janvier, un groupe d’une vingtaine d’élèves de classes préparatoires littéraire et scientifique a assisté à une adaptation de La Leçon, célèbre pièce d’Eugène Ionesco, alliant drame et comique, sur fond d’absurdité. Venus pour assister à une pièce de théâtre, les élèves se retrouvent projetés dans un tout autre univers : celui de la danse et du chant.

La troupe de Pietragalla, menée par Julien Derouault, s’impose sur la scène. Très vite, les dialogues s’enchaînent, les répliques fusent à coups de mots et de pas de danse, les corps tournoient, tombent, se relèvent, glissent sur la scène. Les spectateurs sont saisis par ces chorégraphies envoûtantes, par ce jeu de lumière qui baigne la scène d’une aura surréaliste, au service de ce texte, peu modifié, et d’une extrême simplicité, mais dont l’absurdité tourne vite au cauchemar selon les lois du plus parfait humour noir.

Si la représentation est entrecoupée du rire des spectateurs, celui-ci ne se fait pas entendre, tant il est hypnotisé. Et quand, finalement, le rideau tombe, au grand dam du public, celui-ci se lève sans hésitation pour l’ovation des danseurs. Ils s’avancent, un par un, pour la dernière révérence et la foule, en ébullition, acclame de vive voix, applaudissant de plus en plus fort.

La pièce est finie mais les élèves s’en souviendront encore un bon moment. On peut déjà entendre les khâgneux se demander entre eux : « Combien font 2-1 ? », « 3, évidemment ! ».

Texte d’Alice LASMOLES et d’Amélie N’GUYEN, étudiantes en khâgne, spécialité lettres

 

Des interprétations multiples qu’il est possible de tirer de la pièce de Ionesco, la troupe de Marie-Claude Pietragalla et de Julien Derouault a choisi un mélange du langage du corps et de la parole. Le couple théâtre et danse s’unit dans le renforcement de l’absurde. La première scène accentue la vitalité sans bornes de l’élève, dansant autour du professeur qui lui se restreint et limite d’abord ses propres mouvements.

L’élève, plutôt que de s’épanouir dans l’enseignement, va au contraire se vider de sa vitalité. Alors que l’élève se retrouve embarquée par l’autorité qui la domine, son absence de droit à la parole et sa soumission à l’autorité tyrannique se manifestent dans une danse convulsive, où elle perd le rythme des autres danseurs qui eux, se conforment aux exigences du professeur.

En revanche, le professeur se révèle un véritable chef d’orchestre qui dirige la danse, avec une discipline presque militaire, ici mise en avant par la musique qui se transforme aussi en une musique électrifiante. Les références à d’autres pièces de Ionesco se retrouvent également dans la mise en scène : par exemple Les Chaises en incluant des chaises qui vont accompagner la danse, de plus en plus oppressante. Le martèlement des chaises contre le sol domine la musique, la recouvrant, ce qui peut également être une référence à une autre pièce de Ionesco, Rhinocéros, avec cette cadence militaire allant crescendo et finissant par envahir l’espace sonore.

L’adaptation de Philippe Derouault choisit un angle presque horrifique, suscitant le malaise de son spectateur à la fois passif et témoin, à travers des moments relevant parfois du cauchemar comme le meurtre de l’élève représenté comme une scène de cannibalisme, plongée dans une lumière rouge qui évoque la violence et le sang.

Pourtant la violence suggérée est allégée par l’humour absurde. La crise surgit après le crime: « Qu’est-ce que j’ai fait ! Qu’est-ce qui va m’arriver maintenant ! Qu’est-ce qui va se passer !” Les danseurs sont entassés les uns sur les autres, sans vie : le spectateur constate l’ampleur des crimes, en contraste avec le professeur, assassin en série, pleurant comme un enfant. Finalement c’est le comique qui soulage la salle entière, mais en nous faisant rire, Ionesco nous force à réfléchir à  dont nous sommes témoins, dans la salle de spectacle, comme en dehors.

 

Texte d’Estelle MEURICE, étudiante en hypokhâgne