Khâgne 2021-2022 : entretien avec Jean Guizerix, « danseur étoile en notre temps »

L’entretien avec un « danseur étoile en notre temps »

 

« La danse, un minimum d’explication, un minimum d’anecdotes, et un maximum de sensations »  Maurice Béjart

 

Ce jeudi 18 novembre 2021, nous avons eu l’occasion de rencontrer Jean Guizerix, aux côtés de nos professeurs de lettres Monsieur Sourdillon et de philosophie Monsieur Guimbail. Cela a été l’occasion pour nous de vivre, au travers d’une discussion, l’expérience d’un danseur passionné et passionnant.

Cet homme est un danseur étoile français et un chorégraphe qui a bien voulu offrir de son temps pour nous parler de son histoire.

Tout d’abord, nous avons eu l’occasion d’écouter son parcours afin de comprendre la place de la danse dans le cadre notre programme de philosophie dont le thème est  » L’art, la technique ».

Entré à l’Opéra Garnier à 19 ans, il devient par la suite danseur étoile aux côtés de son épouse Wilfride Piollet. Son métier lui a permis de sillonner le monde pour se produire dans les plus grands opéras, en Russie, en Allemagne de l’Est ou encore à New York City. Il a fréquenté les plus grands de ce milieu, tels que George Balanchine, ou Merce Cunningham, chorégraphe pour lequel il interprète le ballet Un jour ou deux à l’Opéra Garnier. Mais c’est auprès de sa femme qu’il s’épanouit pleinement en mêlant histoire d’amour et passion de la danse dans un duo complémentaire. En seulement deux heures, il a réussi à nous transmettre son amour pour la danse, dans un élan ininterrompu et envoûtant. Un seul mot pour décrire cette présentation : passionnant !

Pour Jean Guizerix, c’est un désir physique qui le poussa à danser. Comme un élan, il se jeta dans la danse. Il parvint ainsi à développer une autre conscience du geste qui fit de son corps sa manière de s’exprimer. Selon lui, la danse peut se passer de musique. Elle est première. Après tout, il le dit lui même : « Dans les tribus africaines, on a commencé à frapper le sol puis est apparu le rythme. Le corps est premier. » Cela a été pour lui une révélation ! Comprendre et discuter avec Jean Guizerix nous a permis d’envisager ce désir particulier qui grignote les artistes au plus profond d’eux mêmes.

Nous avons pu ensuite poser plusieurs questions sur son expérience, ses souvenirs, sa pratique et sa vision de la danse, telles que : Quelle place donner à l’accident ? Quelle est la marge pour inventer quelque chose sur scène ? Peut-on parler d’un style chez un danseur ? Ou encore quelle est la place de la respiration en danse ? Quelle place pour l’improvisation ? Est-ce que la danse apporte quelque chose à l’amour ? Qu’est-ce qui vous inspire ? Qu’est-ce qui vous plaît dans le rôle de chorégraphe ? N’est-ce pas là, pour vous, le moment de véritablement créer ?

Cette discussion a été l’occasion pour nous de mener une véritable réflexion sur le geste artistique, et sur ce que cela engage dans une existence humaine.

Nous avons pu comprendre que le danseur développe en lui une relation particulière avec son propre corps. L’imagination est alors la meilleure des alliés dans cette situation. Pour lui, « il faut lâcher pour tenir ». Cela suppose donc l’intervention de l’imagination. Il s’agit d’essayer d’introduire dans sa danse des visualisations qui permettent une meilleure prestation, parce qu’elles  nous libèrent. Ce « moment de rien » est une merveilleuse image, certes, et qui pourtant, nous interroge et nous préoccupe. Comment s’abandonner dans un tel geste ? Où allons-nous ? Eh bien … vers l’inconnu. On se jette vers… sans savoir où. Cette notion de l’élan est importante dans sa conception de la danse. Elle est donc un mouvement, de l’ordre de l’abandon, comme une sorte de micro pause. L’esprit est alors injecté dans le faire et dans l’acte. A cet état de rien, c’est tout le mouvement qui devient libre. Il faut oublier pour être dans le geste, le geste authentiquement vrai. Mais pour y parvenir, Jean Guizerix rappelle l’importance du travail. Rien ne se vole et tout se mérite.

Cela a été un véritable plaisir pour nous de l’écouter et de nous plonger dans une vie trépidante qu’est celle d’un danseur. Cela pouvait rappeler ce bonheur chez certains, qui ne résidait dans rien d’autre que dans ce mouvement de création. Ainsi le danseur est capable de faire fusionner son sourire dans un même élan. Danser. Il s’agit de laisser notre sensation dicter nos pas. Mais qu’est-ce que la danse finalement ?

C’est à la fois de l’art, du sport, une ardeur, une contemplation, une chorégraphie, l’incarnation d’une émotion, la suspension du temps, un plaisir, une passion, un moment de complicité avec soi, un instant de confiance dans la liberté du geste. La danse se décline selon mille variations, dans nos salons, sur scène, sous la douche, ou encore sur les plus grandes planches du monde, comme celles de l’Opéra de Paris. L’expérience singulière de Jean Guizerix nous dévoile cette manière proprement humaine de s’approprier une existence afin de lui donner un sens et une direction. Lui donner un rythme.

Notre corps, alors engourdi par le dur quotidien et les différents tracas d’une khâgne, réclame cette mise en rythme. Refuser l’immobilité, ou du moins la dépasser pour créer, imaginer, et ainsi vivre à la manière de Jean Guizerix. Il a fallu donc comprendre ce trop-plein, cette fièvre qui envahissait le corps du danseur, pour ensuite dégager le sens d’un tel engagement.

Que faire de cette vie superflue ? Dans quoi la mettons-nous ? Au service de quoi? Pour dire quoi ? Comment dans une journée ordinaire et habituelle pouvons nous, jeunes étudiants, parvenir à sentir cette force, cette énergie, ce vivant ? Comment brûlons-nous d’ivresse ? Eh bien Jean Guizerix vous répondra : par la danse !

C’est ainsi que vous pouvez croiser, quelquefois, sur les hauteurs de Jeanne d’Albret, Bâtiment 4, deuxième étage, certains élèves de khâgnes en pleine séance de pointe.

Merci beaucoup, Jean Guizerix, de nous avoir donné l’envie de créer.

Emma BOISSAU et Mathilde HURTU, étudiantes en khâgne