Plumes de Lycéens – Les élèves de Jeanne se jettent à l’encre : après « Cyrano de Bergerac »


Le 12 octobre 2018, plusieurs classes de première sont allées voir au C2L, le cinéma de Saint-Germain-en-Laye, la captation vidéo de la mise en scène par Denis Podalydès de la pièce d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac. Filmée à la Comédie-Française en juillet 2017, cette représentation d’une durée de 3h10 a enthousiasmé la majeure partie des élèves. Voici quelques copies d’élèves de 1ère S3 qui au lendemain de cette projection ont rendu compte du spectacle sous forme de sujets dits « d’écriture d’invention » inspirés de l’épreuve écrite du bac de français. Trois sujets, à composer en une heure en classe, leur étaient proposés :
Sujet 1 :
Imaginez la lettre que vous pourriez adresser à Denis Podalydès. Vous lui ferez part de vos réactions et avis de jeune spectateur, en exprimant librement vos jugements, élogieux ou critiques, sur ses choix de mise en scène et en l’interrogeant sur ses interprétations de la pièce.
Sujet 2 :
Critique dramatique (= théâtral) dans la presse écrite, vous rédigez un article sur la mise en scène de Cyrano de Bergerac par Denis Podalydès, en suivant les recommandations formulées ci-dessus.
Sujet 3 :
A l’issue de la représentation de Cyrano de Bergerac à la Comédie-Française ou de la projection de la captation de celle-ci, deux spectateurs échangent leurs points de vue sur la mise en scène de Denis Podalydès. Rédigez leur dialogue, rapporté au style direct ou sous une forme théâtrale, en vous référant là encore à des éléments très précis de la mise en scène.

Madame Rio-Pispisa.

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A Monsieur  Denis Podalydès

 

Comédie-Française

 

Cher Denis Podalydès,

 

 

J’ai eu le plaisir d’assister à la projection de Cyrano De Bergerac et j’aimerais vous exprimer ce que m’inspire votre mise en scène très originale.

 

En effet, je n’avais jamais assisté à la représentation d’une pièce de théâtre auparavant et, j’ai été très surprise par la manière dont les acteurs occupent l’espace. La scène est un espace très réduit, contrairement aux productions cinématographiques où la caméra permet de filmer différents angles de vues. J’ai trouvé très astucieux de délimiter les espaces de manière précise pour permettre aux spectateurs de mieux situer dans l’espace, comme quand les personnages entraient ou sortaient d’une pièce à travers une simple porte qui délimitait les lieux.

Par ailleurs, à la première scène de l’acte I, j’ai constaté que vous aviez projeté sur un écran blanc des extraits d’autres représentations de Cyrano de Bergerac et même des passages en direct des acteurs sur scène. Je trouve que ce nouveau moyen de machine théâtrale est très innovant et intéressant. J’ai particulièrement apprécié comment vous vous êtes servi de cet outil quand Roxane suit Christian du regard jusqu’à l’autre bout de la scène. C’est assez ingénieux car je pense que si Roxane avait été sur le même plan que Christian, les spectateurs n’auraient pas pu apprécier ce moment presque magique où Roxane est représentée comme un être supérieur. Avez-vous choisi cet outil afin d’apporter une nouvelle dimension à la scène ?

De plus, votre mise en scène est aussi pratique. Vous utilisez tous les recoins de la scène même le plafond pour y cacher le décor de la pâtisserie de Ragueneau à l’acte II. Je ne m’attendais pas à voir descendre un décor suspendu à des planches de bois. Cela apporte aussi une dynamique intéressante à l’acte et permet un autre point de vue plus aérien.

D’ailleurs, votre mise en scène a un aspect assez féerique, c’est presque un roman chevaleresque. Ainsi, une des casseroles de la pâtisserie de Ragueneau se transforme ensuite en la Lune pour faire référence aux Etats et Empires de la Lune, l’un des livresécrit par le véritable Cyrano de Bergerac.

Mais la scène la plus féerique de votre mise en scène est, sans aucun doute, la scène du balcon de l’acte III, où Roxane se met à planer dans les airs soutenue par de fines cordes. Cette mise en scène apporte une dimension verticale et aérienne à la scène. On a l’impression que Roxane est soutenue comme par magie par les mots d’amour de Cyrano.

En revanche, la mise en scène de l’acte IV m’a fait penser à un tableau, inspiré du tableau de Géricault ,  Le radeau de la Méduse. De plus, quand Roxane intervient pour aider les soldats en leur rapportant des vivres, celle-ci m’a fait penser à Marianne dans le tableau de Delacroix , La liberté guidant le peuple.

Je me demandais par ailleurs si les costumes des soldats qui ressemblent aux uniformes des soldats de 1914, avaient pour but de dénoncer la violence de la guerre dévastatrice.

Pour finir, le dernier acte de la pièce m’a paru très émouvant. Françoise Gillard a su retranscrire les émotions de Roxane déchirée par l’aveu de Cyrano et déclarant notamment :   « Je n’aimais qu’un seul être et je le perds deux fois ».

Tout au long de la pièce, Michel Vuillermoz a interprété Cyrano d’une manière héroïque mais avec beaucoup de vulnérabilité.

 

J’attends avec impatience votre réponse !

Veuillez  agréer,  Monsieur, mes sincères salutations.

 

Mélodie FRIMAT, 1ère S3

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Jérémie (J) et  Marine (M) ( sortant du théâtre)

 

M:     Ah, cet instant fut fantastique. 

J :  ( Suivant Marine de près ):

          Oui, je voyais la gymnastique, 

          Que ton sourire confus fit.

M:     Tu devines ? Es-tu génie ?

J (avec un clin d’oeil):    Non mais je te connais,                       

M:     Bien assez pour me deviner !

J:       Quel est l’élément qui t’a donc

          marqué ? Rien de…

M:                                      De quelconque ?

Premièrement, tous les acteurs.

J:       Ce qui t’a touché ?

M  : (réfléchissant dans un premier temps)

          Leur ardeur.                  

          Ils avaient cette énonciation,

          La fièvre, la représentation.

J:       Cyrano n’était point vilain.

M (Le disputant:   Ce que tu peux être coquin !                                   

          Mais pas tout spécialement lui.

J:       Tu t’es éprise, donc, de qui?

M:     D’une bel(le) flamme flamboyante,

          D’une à la volonté ardente.

J (d’un air intrigué):       Je ne vois pas…                                              

M:     Mais de Roxane !

J:       Pourtant aussi bourrue qu’un âne…

M:     Mais non ! Ses mots me firent trembler.

J:       La mise en scène… Elle a volé !

          Ne trouves-tu cela absurde ?

M:     Rhô, ce que tu peux être rude !

          C’était juste métaphorique.

J:       Oui, ou quelque peu euphorique.

M:     Sa passion ne t’a pas …

J:       Ce caractère était à chi…

M:     Stop ! Pas de ça !

J:                                      Excuse moi.

          Ben moi j’ai préféré Hercule

M:     Savignan

J:                       Cyrano de… Euh…

M: Bergerac. Sache au moins cela.                                                         (Riant gentiment)

          Au passage, tu n’en fus pas las !

J:       La première pièce qui,

          Me tient en éveil. Et ceci,

          Vient de la calamité,

          Qu’est l’homme au très très long nez.

M:     C’est bien vrai, mais Roxane était,

          pour moi,  quelqu’un de bien plus vrai.

          Changeons de sujet, le veux-tu ?

J:       Oui, d’autre chose je voulais

          T’entretenir.

M:     Et ce serait ?

J:       Des décors ! Ce qu’ils étaient beaux.

M:     Oui, surtout chez ce Ragueneau !

J:       Rhaa… Je sens mon ventre frémir.

M:     Humm…(A part) Je pense nous voir venir…                     

J:      Ça m’a donné envie

M (feignant d’être affamé): D’une

          Tarte aux framboises !                                                  

J:      D’une aux prunes !

          Laissons là nos estomacs,

          Quel décor te fit estocade ?

M:     Je dirai… Je dis… les premiers !

J:       Ils étaient bons et se valaient.

          Ce sens du détail sans fin…

M:     Ces couleurs… Ces tissus… Ce brin

          De génie. Tout ça était bon.

J:       Le cinquième…

M:                                Ne sois pas ronchon !

J:       Il en faut toujours un moins bien !

M:     Peu original, mais pas vain

          A transporter cette mort diurne,

          A pointe de plume, vers la lune !

J:       Pour ma part j’ai fait le tour de

          Cette pièce à la folie sourde,

          et à l’expression harmonique.

M:     Eux qui parlaient de Copernic.

J (mimant Cyrano): Bon, comme dirait celui d’Arras…                         

M:     J’ai faim, allons faire gras !

 

Baptiste Lassalle, 1ère S3

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A: Quelle belle pièce de théâtre ! Et cette mise en scène était… sublime ! Ne trouves-tu pas ?

 

B: Je l’ai trouvée assez fade, dès le début où une vidéo était projetée sur le haut de la scène pour faire les gradins, j’ai trouvé que cela marquait un contraste trop important avec l’ambiance qui était déjà installée.

 

A: Mais non ! C’est justement cela qui est très fort ! Dès le début, il y a un décor très riche, une mobilité très importante, une ambiance se crée,  pour reprendre tes termes. Mais l’ajout d’une caméra transcende le tout. Cela nous fait participer à la pièce. C’est du  théâtre dans le théâtre et on est spectateur de deux pièces ! Et aussi ce changement du texte pour ajouter des noms d’Académiciens plus proches de notre époque, comme Jean d’Ormesson ! Brillant !

 

B: Oui, je comprends ton point de vue, mais en tout cas pour l’acte I  je ne suis pas d’accord avec toi car je n’ai pas retrouvé l’effervescence, l’immersion, la magie que l’on pouvait ressentir dans le film de Jean-Paul Rappeneau.

A: Soit, mais dans l’acte II qui se passe dans  la rôtisserie de Ragueneau, ce système de poulies pour comprendre le changement de pièce et pour faciliter le mouvement des acteurs tout en faisant comprendre au spectateur que l’on est toujours chez Ragueneau, c’est tout simplement ingénieux et terriblement efficace. Sans parler du jeu de Michel Vuillermoz qui est sans conteste magistral, surtout dans ses tirades.

 

B: Oui c’est ingénieux, mais cet acte a cependant manqué selon moi d’originalité et d’intérêt dans la mise en scène, tout est trop statique, lent, mais oui,  Michel Vuillermoz joue très bien et sauve la pièce à quelques occasions. J’ai beau avoir compris que Michel Vuillermoz et Denis Podalydès voulaient bipolariser le personnage et le rendre aussi admirable que pathétique, mais selon moi le pathétique a été mal intégré à la pièce comme lors de sa ballade dans l’acte I où il a volontairement été moins héroïque pour le rendre plus humain. Et c’est un problème car c’est l’acte I qui définit notre vision de Cyrano, il doit être incroyable dans l’acte I pour que le spectateur soit surpris et que l’effet de pitié par la suite s’accentue. Si dès le début Cyrano est humain, il ne peut tomber très bas, il faut le faire tomber d’un piédestal que l’on crée dans l’acte I pour rendre Cyrano sublime.

 

A: Tu t’attardes sur des détails ! Durant la pièce Cyrano est incroyable et même si le piédestal de l’acte I n’est pas si haut, la pièce reste sublime grâce à Cyrano en partie. L’acte III est aussi un morceau central de la pièce et la mise en scène est risquée, osée, mais m’a complètement séduite. D’abord les personnages sont au même niveau, puis Roxane s’élève, objet de tous les désirs, et au fur et à mesure, on comprend que l’intérêt n’est pas de voir Cyrano parler à Roxane, car cette dernière disparaît presque, l’important c’est de voir Cyrano parler d’amour et de voir Christian, amoureux mais impuissant, on assiste juste à de l’amour qui est tellement ostentatoire qu’on en oublie Roxane, comparée à une déesse que l’on vénère. Et puis ce rideau rouge pour montrer l’exotisme des habitants de la Lune, ce décalage entre Cyrano voulant être au niveau de Roxane, et Cyrano faisant semblant d’être tombé de la Lune, c’est du génie.

B: C’est une façon de voir les choses, moi j’ai juste eu l’impression qu’ils ne savaient pas trop quoi faire, alors on enlève le balcon parce que c’est embêtant, on met un masque pour ne plus être terrien …Ils ont clairement choisi la facilité. Et je te vois venir avec tes actes IV et V,où  rien ne bouge, c’est irréaliste, j’ai vraiment été déçu par cette fin.

 

A:  L’acte IV met une ambiance de guerre incroyable ! Avec la musique du  Boléro de Maurice Ravel qui retentit comme des coups de tambour, on est plongé dedans. Et tu ne peux comparer cet acte avec le cinquième, c’est l’opposé : très épuré, simple, banal, tout comme la mort de Cyrano. D’ailleurs les cercles rouges de sang de l’acte IV sont toujours présents dans l’acte V : les blessures sont toujours là. La vieillesse des personnages, surtout de Le Bret, joué par Stéphane Varupenne, est aussi très bien montrée.

 

B: Oui tu as raison, d’ailleurs je vais revoir Stéphane Varupenne dans Britannicus, espérons que ce soit mieux. Maintenant, je dois te laisser.

 

Léos Foubert,  1S3

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